16e dimanche du temps ordinaire – A – 19 juillet 2020

« Non, en enlevant l’ivraie, vous risquez d’arracher le blé en même temps. Laissez-les pousser ensemble jusqu’à la moisson. »

Mt 13,29-30a

> Pour faire écho à cette parabole du bon grain et de l’ivraie, voici le conte de l’arbre :

Dans un pays aride, fut autrefois un arbre prodigieux. Sur la plaine, on ne voyait que lui, largement déployé entre les blés malingres et le vaste ciel bleu. Personne ne savait son âge. On disait qu’il était aussi vieux que la Terre. Des femmes stériles venaient parfois le supplier de les rendre fécondes, des hommes en secret cherchaient auprès de lui des réponses à des questions inexprimables et les loups lui parlaient, certaines nuits sans lune, mais personne jamais ne goûtait à ses fruits. 

Ils étaient pourtant magnifiques, si luisants et dorés, le long de ses branches maîtresses pareilles à deux bras offerts dans le feuillage qu’ils attiraient les mains et les bouches des enfants ignorants. Eux seuls osaient les désirer. On leur apprenait alors l’étrange et vieille vérité. La moitié de ces fruits était empoisonnée. Or, tous, bons ou mauvais, étaient d’aspect semblable. Des deux branches ouvertes en haut du tronc énorme l’une portait la mort, l’autre portait la vie, mais on ne savait laquelle nourrissait et laquelle tuait. Et donc on regardait mais on ne touchait pas. 

Vint un été trop chaud, puis un automne sec, puis un hiver glacial. Neige et vent emportèrent les granges et les toits des bergeries. Les givres du printemps brûlèrent les bourgeons, et la famine envahit le pays. Seul, sur la plaine, l’arbre demeura imperturbable. Aucun de ses fruits n’avait péri. Malgré les froidures, ils étaient restés en aussi grand nombre que les étoiles du ciel. Les gens, voyant ce vieux père solitaire miraculeusement rescapé des bourrasques, s’approchèrent de lui, indécis et craintifs. Ils interrogèrent son feuillage. Ils n’en eurent pas de réponse. Ils se dirent alors qu’il leur fallait choisir entre le risque de tomber foudroyés, s’ils goûtaient aux merveilles dorées qui luisaient parmi les feuilles, et la certitude de mourir de faim, s’ils n’y goûtaient pas. 

Comme ils se laissaient aller en discussions confuses, un homme dont le fils ne vivait plus qu’à peine osa soudain s’avancer d’un pas ferme. Sous la branche de droite, il fit halte, cueillit un fruit, ferma les yeux, le croqua et resta debout, le souffle bienheureux. Alors tous, à sa suite, se bousculèrent et se gorgèrent délicieusement des fruits sains de la branche de droite, qui repoussèrent aussitôt, à peine cueillis, parmi les verdures bruissantes. Les hommes s’en réjouirent infiniment. Huit jours durant, ils festoyèrent, riant de leurs effrois passés. 

Ils savaient désormais où étaient les rejetons malfaisants de cet arbre : sur la branche de gauche. Ils la regardèrent d’abord d’un air de défi, puis leur vint une rancune haineuse. A cause de la peur qu’ils avaient eu d’elle ils avaient failli mourir de faim. Ils la jugèrent bientôt inutile que dangereuse. Un enfant étourdi pouvait, un jour, se prendre à des fruits pervers que rien ne distinguait des bons. Ils décidèrent donc de la couper au ras du tronc, ce qu’ils firent avec une joie vengeresse. 

Le lendemain, tous les bons fruits de la branche de droite étaient tombés et pourrissaient dans la poussière. L’arbre amputé de sa moitié empoisonnée n’offrait plus au grand soleil qu’un feuillage racorni. Son écorce avait noirci. Les oiseaux l’avaient fui. Il était mort. 

(Conte de l’Inde, Henri Gougaud, L’arbre d’amour et de sagesse, Ed. du Seuil)

> Quels sont les bons et les mauvais fruits dans ma vie ? 

> Cette semaine, prenons le temps pour méditer sur les bons et mauvais fruits sur l’arbre de notre vie, sur leurs liens, et accueillons-les dans cette espérance que le moissonneur saura faire le tri quand viendra le temps.

16e dimanche – A

« Les serviteurs du maître vinrent lui dire : ‘Seigneur, n’est-ce pas du bon grain que tu as semé dans ton champ ? D’où vient donc qu’il y a de l’ivraie ?’Il leur dit : ‘C’est un ennemi qui a fait cela.’ Les serviteurs lui disent : ‘Veux-tu donc que nous allions l’enlever ?’ Il répond : ‘Non, en enlevant l’ivraie, vous risquez d’arracher le blé en même temps. » (Matthieu 13, 27-29)

> La constatation étonnée des serviteurs sur la présence de l’ivraie dans le champ au milieu de bon grain, rejoint la notre sur la présence du mal sur terre. « Seigneur, d’où vient la division, la zizanie, le malheur, alors que tu as semé les graines de Ton Royaume ? », pourrions-nous aussi dire. Bien sûr, nous voudrions l’ôter de notre monde, cette ivraie, l’en arracher, comme on arracherait des mauvaises herbes. C’est d’ailleurs le désir des serviteurs. Mais le maître, vigoureusement, répond par la négative, car ce qui compte, c’est le bon grain, et arracher l’ivraie, cette herbe qui peut passer pour du blé mais qui est en réalité du poison, mettrait en danger le bon grain.

Notre désir n’est-il pas également d’arracher le mal à notre monde, et en nous aussi peut-être ? Mais devant le mal, Dieu nous invite à Lui faire confiance. Le jugement viendra, il Lui appartient, ainsi qu’à ses anges moissonneurs. Nous n’avons pas à être les moissonneurs des temps derniers. Non. Ce que Dieu nous demande, c’est d’une part de reconnaître le mal, d’admettre sa présence, sans pour autant l’accepter, et d’autre part de faire confiance au maître de maison, tout en cherchant à faire croître le bon grain.

Cette semaine, nous sommes donc invités à méditer et prier sur un aspect de notre vie, de notre personne, du monde, que nous considérons comme « ivraie », et de chercher d’abord à admettre qu’il est là, présent. Puis de placer notre confiance en Dieu par rapport à cet aspect, tout en cherchant à faire croître le bon grain en nous !